Quentin Saubadu

Avant d’arriver à l’Atelier Claus, ce 19 Décembre 2014, je n’avais jamais vu de performance « en live ». Je ne savais pas ce que c’était, j’en étais conscient et, sans aucun jugement, j’ai pris part à l’expérience que l’on me proposait. 

Ma première confrontation avec la performance fût avec Edgard Neris en salle de cours. Je n’ai senti qu’après coup qu’il ne fallait pas que je cherche à comprendre, ni même une raison qui aurait pu le pousser à présenter le spectacle qu’il mettait en scène sous nos yeux. C’était limpide, en fait, la raison n’a rien à faire ici. Ça se passe, voilà tout. 

Sur le coup, ne donner aucune signification à ce qu’il avait fait me semblait aberrant, car la société m’a poussé à donner une explication à tout ce que je pouvais voir, ressentir. J’étais ébahie, stupéfait, interloqué, parfois choqué. J’ai même posé la question « Il y a t’il un but à ce que vous venez de faire? » Une réponse hasardeuse, lui même ne savait pas quoi répondre et je comprend maintenant pourquoi. Il n’y avait rien à répondre.
À y repenser, je pense que je suis allé à l’Atelier Claus déstabilisé, je me sentais inculte face à cette forme d’art qui n’a pas de mode d’emploi et j’étais anxieux quant à mes réactions, je ne savais pas comment réagir si jamais un performer venait jusqu’à moi pour me faire participer; j’entrais dans un Monde que je ne connaissais pas, mais j’étais malgré tout cela décidé à y aller sans réfléchir et me laisser porter.




Carole Louis se trouvait face à moi. Je ne connaissait évidemment pas encore son nom mais ce fût la première à m’interpeler du fait qu’elle semblait totalement détachée de tout ce qui pouvait se passer autour d’elle. Elle se trouvait dans le jardin, comme enfermée entre trois murs et une baie vitrée. Elle était prisonnière du sort qu’elle s’était elle même infligé, et cette solitude lui conférait comme une sorte de pouvoir d’attraction. C’était la seule à l’extérieur du bâtiment, celle qu’on n’entendait pas et qu’on ne pouvait que voir, pourtant elle attirait l’attention comme personne d’autre dans la pièce. 

Elle avait un néon miniature dans la bouche. Elle entre-ouvrait ses lèvres afin que notre attention soit dirigée vers cette source lumineuse, et produisait une buée opaque contre
la vitre afin d’écrire des mots, qui au fil du temps devenait des phrases. Des bouilloires fumantes posées au sol et ce néon entre les dents rendait l’instant magique. Je restais là, à observer sa performance, d’une part car je trouvais que l’aspect philosophique y était peut-être plus intense qu’autre part, mais peut-être aussi car j’étais protégé par cette vitre et que je savais qu’aucune interaction n’était possible. Mais on veux toujours ce que l’on a pas et j’ai eu envie de rentrer en contact avec elle grâce au regard. En vérité, se contact visuel m’aurait rassuré sur le moment, comme si je voulais la ramener à la raison. Je ne saurais pas dire pourquoi mais elle semblait tellement en phase avec elle même qu’on pouvait croire qu’elle était seule au Monde, seule dans sa bulle de verre. Peut-être se contact visuel m’aurait permit de me dire que tout cela n’était que comédie, qu’elle faisait simplement croire au public qu’elle se trouvait dans une sorte d’état second, pourtant se contact visuel n’aura pas lieu et ce fût surement à cet instant que je compris pourquoi la performance était si importante aux yeux de ces gens. Elle ne permettait pas simplement d’offrir un spectacle aux personnes qui voulait bien la voir, elle offrait une autre façon de penser le corps et l’être Humain dans sa globalité, la performance n’était alors plus à mes yeux visuel, ou sonore, elle se vivait de l’intérieur, comme une philosophie, une façon de penser, une façon de se retrouver et de voyager. 

Nietzsche disait dans « Ainsi parlait Zarathoustra » - «je suis corps tout entier et rien d’autre». Il contredisait le dualisme occidental qui considérait le corps comme une simple enveloppe de l’esprit. C’est ce qui se passait là, devant mes yeux. Carole Louis, à cet instant précis, hors du temps, vivait de tout son être, et, comme prise par une état secondaire, un état de transe, écrivait sans relâche les mots qui devaient sortir de sa pensée. Elle était connectée avec elle même, il n’y avait rien à faire, il n’y avait qu’elle, et ça suffisait. 

Plus le temps passait, plus la nuit se faisait lourde et froide. Les vitres commençaient à geler ce qui accentuait l’effet escompté par l’artiste. La buée était de plus en plus opaque, de plus en plus réceptive aux symboles qu’elle faisait apparaitre par friction grâce à son index. Le froid rendait l’effet de transe d’autant plus importante, et, sans même réfléchir, elle écrivait ses mots à l’envers pour que l’on puisse les lires. Elle communiquait, telle une femme venu d’une autre planète communiquerait avec notre race. Je me sentais petit. Elle était dehors, enfermée, seule et détaché du Monde extérieur, pourtant sa supériorité ne faisait aucun doute. Elle dominait par la magie qu’elle dégageait, par notre incompréhension et par sa faculté à être en accord avec elle même. J’étais hypnotisé. 





Les mots qu’elle écrivait allait au fil du temps donner des phrases, qui celles-ci, mises bout à bout n’avais clairement aucun sens. On aurait dit des citations inventées de toute pièces par son imaginaire. Elle figurait dans un état second, et cela me confrontait au problème «corps - esprit». Pour moi, le spectacle qu’elle me donnait à voir faisait référence à la typologie du dualisme, ou la grande question philosophique : « Le corps et l’âme sont t’elles deux substances réellement distinctes ». Son corps bouge, mais son esprit semble ailleurs. Ou peut-être est-ce l’inverse, peut-être que son esprit est totalement présent et connecté avec son action et que son corps ne fait que suivre la cadence? Pour tout dire, j’étais perdu, mais cette fois-ci cela m’était égal ,car à ce moment présent, je n’avais plus peur de me perdre. J’avais dépassé mon anxiété, ma peur de l’inconnu, j’acceptais volontiers de lui donner corps et âme même si, depuis ces longues minutes à observer chacun de ses mouvement, j’étais seul, face à une vitre. 

J’étais connecté à elle à présent. Seul moi était au courant, et c’était frustrant. Je crois que pendant un instant j’ai pu lui en vouloir de ne pas même daigné me regarder. Elle ne savait pas que j’excitais et peu à peu ça me rendais fou.
Le pire c’est qu’aucun rictus facial ne devait me trahir. Evidemment, je ne veux pas interloquer les gens autour de moi et je ne veux surtout pas qu’ils me posent ne serait- ce qu’une question, ça briserai le lien, lien que j’étais seul à voir, et j’étais forcé de m’en contenter. Comment cette personne pouvait créer autant d’émotions indescriptibles en moi ? Je ne savais pas, sur le coups je m’en fichais pas mal et me concentrais seulement sur l’instant présent, que je ne voulais pas lâcher, coute que coute, je devais tenir pour avoir ne serait-ce qu’un regard, un sourire, je ne sais pas, quelque chose qui me fasse comprendre qu’elle m’avait remarqué. 






Ce n’est qu’une semaine après que je me suis remémoré cet instant précis. Je m’étais en fait simplement préoccupé de savoir si elle allait enfin croiser mon regard. Je me sentais dans la peau d’un affreux égocentrique rongé par l’envie d’avoir été vu, plutôt que par le simple fait d’avoir été présent et d’avoir vécu l’instant. J’étais honteux, perturbé par se sentiment de nullité profonde et enfin, après avoir longuement cogité sur la question de « suis-je égocentrique ou non » qui était encore une fois très égocentrique comme question, la nature nihiliste de la performance de Carole Louis ne faisait pour moi plus aucun doute. Même dans la performance, il y a une démarche. La sienne consistait, à mes yeux, à interroger le public quant à la nature de l’Homme sur Terre. 

Nous pouvons y voir une certaine poésie, réflection philosophique sur la place qu’occupe l’être Humain dans ce monde qui est le notre en écrivant sur cette vitre embuée de manière éphémère. L’homme est éphémère, l’art est la seule trace de notre passage sur Terre. Les cloisons qui l’entourent pouvant représenter la Terre, elle prête à réfléchir sur la place qu’occupent chacun d’entre nous dans l’univers, lui, étant si vaste. Nous nous regardons le nombril, comme je le faisais lorsque je contemplais l’artiste faire son oeuvre. La seule chose qui rend l’être Humain supérieur face aux autres espèces terrestres est qu’il à conscience d’être. Il a le langage, qu’il développe et lui permet de communiquer avec ses semblables. Carole Louis reprend ce mode de communication et le rend totalement subjectif car il est mené à disparaitre quelques secondes plus tard, comme l’Homme sur Terre. 
 
J’ai repensé par la suite à ce que j’ai pu penser de sa performance lorsque je l’ai reçu de front à l’atelier Claus. Elle m’avait semblé venir d’une autre planète, comme si elle n’assumait pas vraiment le fait d’être présente mais à la fois terriblement au dessus de tout ce qui pouvait se passer à l’intérieur alors qu’elle même n’y était pas. Comme si elle voulait me prévenir de quelque chose de terrible, mais de façon détaché. La femme venu d’ailleurs venant prévenir la race Humaine qu’ils empruntent les mauvais chemins. Étais-je fatigué lorsque m’est venu cette conclusion extra-terrestre? Peut-être. Mais les lumières employées et l’ambiance qui habitait l’endroit ne me contredirons pas. Il s’agissait d’une lumière d’un vert à la fois très doux et à la fois agressif, presque fluorescent, en fond, qui venait se déposer comme si de rien n’était sur la verdure qui peuplait le jardin. Les plantes étaient rares mais volumineuses, ce qui donnait à l’espace, lui même pas très grand, un petit côté magique si l’on additionnait à ça l’ambiance lunaire qui y régnait. Sans compter le néon miniature d’un blanc très intense qui semblait lui venir des entrailles. 

Elle se déplaçait de façon presque sauvage. Il lui arrivait même parfois d’utiliser ses poings afin de bouger d’un endroit à un autre. Elle était accroupi et écrivait principalement en bas de la vitrine, comme si personne ne devait voir, qu’il s’agissait d’un texte écrit par elle, pour elle. Son corps alors constamment en mouvement, elle passait d’un endroit à un autre, parfois même avant d’avoir terminé sa phrase. Si l’on doit faire une comparaison objective, j’y ai vu plusieurs fois les déplacement qu’aurait pu avoir un singe ou un Homme préhistorique. En fait, en y réfléchissant, et sachant qu’il est aisé à partir de la de comparer non seulement les déplacements que la façon d’utiliser son doigt pour écrire sur les murs afin de laisser une trace, le fait de rapprocher la performance de Carole Louis au comportement animal et instinctif du l’Homme préhistorique ne me semble plus si aberrante que ça. Je dirait même que la comparaison est primordiale. Encore une fois, elle reflète bien le questionnement de la position de l’être Humain sur Terre.
 
Tout à coup, une sensation étrange me prend à la gorge. Encore une fois, je me remet à penser la façon dont j’ai abordé sa performance lors de l’Atelier Claus. Je suis tombé dans la contemplation, l’admiration, la haine, l’incompréhension, et enfin la frustration. Je n’avais en effet pendant cette heure, eu de cesse de me regarder moi, alors qu’elle essayer de me faire voir tout le reste. Elle avait éveillé en moi tout ce qu’elle dénonçait à travers sa performance sans que je ne daigne m’en rendre compte. Évidement, lorsque je dit qu’elle faisait telle action pour dénoncer ceci ou cela, il faut relativiser. Je ne prétend pas savoir qu’elle était son message absolu, si tenté qu’il y en ai un, et puis de toute manière cela ne me regarde pas, car l’important dans l’histoire est que j’ai su me faire ma propre opinion de la chose. 

L’idée de me dire que la performance servait et aidait à réfléchir sur des questionnements plus philosophique me plaisait. J’avais trouvé dans la performance, une nouvelle façon de voir l’art, de l’appréhender. Elle était complexe et brut. Elle ne mentait pas comme une toile de maître pourrait le faire. La personne est là, devant vous, à nu. Acune échapatoire. 

Cette expérience m’a permis de voir aussi au-delà de mes préjugés et de mes peurs. J’ai su passer par dessus et apprécier les autres performances proposées durant l’atelier, et en parler m’a ouvert l’esprit. 






WEBOGRAPHIE :
- http://www.philomag.com
- http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/articles.php?lng=fr&pg=19133

- http://stephan.barron.free.fr/2/boyer_performance/definition.htm